Idées Noires

L’humour communautaire

J’ai toujours aimé rire. D’un peu de tout et surtout de n’importe quoi. Et pourtant je réalise que plus le temps passe et moins il y a d’humoristes capables de me dérider.

J’avais près de 20 ans quand le Jamel Comedy Club a ouvert ses portes. Si le Stand-up existait bien avant cet établissement dont les spectacles étaient retranscrits à la télévision, il faut bien admettre que le JCC a clairement contribué à la popularisation de ce concept en France tout en amorçant l’ère des humoristes racisés. D’un seul coup, nous avions des comiques qui nous ressemblaient, qui nous comprenaient, qui nous parlaient, à nous, aux personnes racisées, mais aussi aux habitants des cités, bref, à ces populations oubliés, boudés des scènes françaises.

Subitement, nous avions enfin l’occasion de rire de notre quotidien et de tout ce que nous connaissions bien. Et puis un jour, pour nous et par nous, l’humour communautaire est devenu la norme. Sans que nous n’en prenions vraiment conscience, nous sommes passés, nous, peuples sous-représentés, d’une visibilité tant attendue à de pathétiques caricatures, d’’un humour neuf et rafraichissant à du Michel LEEB 2.0.

Nous avons d’abord commencé par raconter la cité, relever ses incohérences et ses travers. Puis nous avons poussé jusqu’à imiter nos parents, leurs lubies, leurs manies, leurs accents et pour finir, leurs lacunes. Et puis tout doucement nous avons glissé, dérapé, jusqu’à en arriver à singer, sans mauvais jeu de mot, le racisme, l’esclavage et la colonisation.

Je ne vais pas m’étendre sur la question existentielle de savoir si on peut rire de tout ni avec qui, car le problème n’est pas vraiment de quoi on rit mais plutôt qui on cherche à faire rire et pourquoi.

Il fût un temps où une Claudia Tagbo ou un Thomas Ngijol pouvaient m’amuser à coup d’humour anecdotique, à coup de satire, à coup d’autocritique. Sauf qu’aujourd’hui j’en ai plus qu’assez de constater que l’humour ne tourne désormais plus qu’autour de nos origines et surtout, de caricatures de nous-mêmes, par les autres et par nous-mêmes.

J’en ai plus qu’assez de constater que ce que beaucoup d’entre nous prennent pour de l’humour innocent contribue en fait à consolider les stéréotypes qui, c’est le cas de le dire, nous collent à la peau, et abiment non pas l’image qu’ont les autres de Nous, mais bien notre propre reflet.

J’en ai plus qu’assez de constater que très peu d’humoristes racisés et en particulier Noirs, sont capables de faire rire sans ridiculiser leur propre communauté. J’en ai plus qu’assez de constater que nous sommes prêts à laisser passer les pires affronts au prétexte d’humour et surtout, j’en ai plus qu’assez de constater que nos humoristes vont toujours plus loin dans l’avilissement sous prétexte de vouloir percer, sous couvert de se faire accepter.

Ainsi, nous nous montrons tellement plus royalistes que le roi que nous estimons risibles ces défauts de prononciation que peuvent avoir des membres de notre communauté qui tentent, comme ils le peuvent, de maîtriser la langue de Molière.

Ainsi, nous nous montrons tellement ingrats que nous n’hésitons pas à faire rire en appuyant sur l’absence de diplômes ou le caractère économe ou stricte de nos propres parents.

Ainsi, nous nous montrons tellement lisses et dénués de fierté et de respect que nous n’hésitons pas à traîner nos hommes et nos femmes noirs dans la boue, tant que de blanches dents s’en délectent, s’en amusent.

Et tant pis si cette langue française écorchée par nos «blédards» n’est pas notre langue d’origine, mais bien une langue colonisatrice, imposée par le fouet, les armes, le viol et le meurtre.

Et tant pis si ces parents que l’on moque se sont saignés aux quatre veines pour que l’on ait aujourd’hui le loisir de rire d’eux au lieu de bâtir des empires.

Et tant pis si on perpétue l’image d’un homme noir volage, corrompu, fainéant, obsédé par le sexe, les copains, la fête, le m’as-tu-vu et les cheveux lisses des femmes blanches.

Et tant pis si on perpétue l’image d’une femme noire artificielle et superficielle, agressive, dénuée de classe et de douceur et vraisemblablement jalouse des autres femmes qui, parait-il, seraient plus douées pour savoir mâter et garder ce fameux graal que représente l’homme noir, ou plutôt le sextoy noir.

Tant que cela fait rire les autres et en particulier l’Occident, que demande le peuple ? Pourquoi s’embêter avec des concepts et projets tels que le respect, l’unité, la construction d’une force économique et politique ou encore le renforcement d’un modèle parental et familiale stable alors que l’on peut occuper ad vitam eternam la position de bouffon préféré à la cour occidentale ? Rions seulement, mes frères. Rira bien qui rira le dernier et puis au pire, lorsque nous aurons fini de rire et surtout de faire rire à nos dépends, eh bien nous pourrons toujours danser !

Texte : Nèl Tinta-Négra – Tous droits réservés.

Image : Affiche « Negro Melodies – Dandy Jim from Caroline », Londres, 1844.

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