L’esclavage et la traite négrière sont régulièrement abordés sur le plan moral, sociologique et historique. Je n’ai pas la prétention de dire que je vais vous proposer un angle nouveau, mais je me suis dit que cela vous intéresserait peut-être d’aborder le sujet d’un point de vue juridique. Du point de vue internationaliste très exactement.
J’ai donc choisi de vous parler de la sentence arbitrale du 22 avril 1822 rendue par le Tsar Alexandre Ier dans le cadre de l’affaire des esclaves opposant le Royaume-Uni aux États-Unis d’Amérique.
En 1812, la guerre anglo-américaine éclate. On l’appelle aussi la seconde guerre d’indépendance et elle va durer jusqu’en 1815. Alors que le Royaume-Uni est en guerre contre l’empire français, les États-Unis en profitent pour lui déclarer la guerre aux fins de s’emparer des territoires britanniques au Canada.
Pendant cette guerre, le Royaume-Uni va manœuvrer pour pousser des esclaves à quitter leur plantation et en enlever d’autres afin de les faire embarquer sur un navire direction l’Angleterre. Le but ? Affaiblir les États-Unis et causer des dégâts considérables à leur économie.
À la fin de l’année 1814, les deux États signent un traité (Le traité de Gand / Treaty of Ghent) pour mettre fin à la guerre et en régler les conditions. Seulement voilà, l’article 1er de ce traité énonce que toutes les possessions prises à l’une ou l’autre des parties devront être restituées.
Question de droit ? Je vous le donne en mille : les esclaves emmenés sont-ils concernés par cette disposition ?
S’il faut attendre 1833 pour que le Royaume-Uni abolisse l’esclavage, la traite, elle, est interdite dès 1807.
Alors questions : les esclaves sont-ils des biens et comment trancher un conflit entre un état qui pratique l’esclavage et la traite et un état qui ne la pratique pas ?
Les tribunaux internationaux n’existent pas à l’époque. Alors lorsque l’on choisit de régler pacifiquement un différend, on le fait par le biais de l’arbitrage international. Comme son nom l’indique, il s’agit de faire appel à un ou plusieurs arbitres (chefs d’états ou juristes) qui auront la dure tâche de trancher le litige sur la base du droit, en général, ou de règles spécifiques et déterminées par les parties.
C’est donc au Tsar Alexandre 1er qu’incombe la tâche sur ce coup-là. Je ne vais pas vous faire languir plus longtemps, le Tsar a tranché en faveur des États-Unis. Il a estimé que le Royaume-Uni devait les dédommager pour les esclaves emportés. Une somme a été convenue mais seuls les propriétaires résidents dans les États américains cités dans le traité ont pu prétendre à une indemnisation.
Pour bien comprendre cette décision, il faut assimiler trois choses :
La première ? L’individu n’est pas un sujet du droit international. Le droit international est le droit des États et des organisations internationales. L’individu n’existe pas. Il est le sujet de son état et cet élément rend l’affaire intéressante pour les internationalistes dans la mesure où il s’agit de trancher un litige à propos de personnes dans un droit… qui ne les reconnaît pas.
Deuxième chose, nous sommes dans les prémices des abolitions et si de nombreuses voix s’élèvent contre la cruauté de cette pratique et que les marrons mobilisent leurs forces pour délivrer leur peuple, nous sommes encore loin de la prise conscience générale que réduire des personnes en esclavage et en plus juste parce qu’ils sont noirs… bah c’est mal.
Troisième élément, à l’époque, l’esclave est encore un bien. Il n’a pas la personnalité juridique, comme en témoigne l’affaire Scott contre Sandford sur laquelle je vous invite vivement à vous documenter.
Il n’y avait donc que très peu de chances qu’une décision contraire soit prise. Mais ça n’en rend pas l’affaire moins intéressante pour autant.
Texte : Nèl Tinta-Négra – Tous droits réservés.
Illustration : « This political cartoon caricatures British attempts to undermine the American slave economy ».